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Article mis à jour le 31.07.2023

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"Au delà des portes de sa ferme, Fabienne m’a ouvert son quotidien"

Je me suis rendue chez Fabienne pendant 10 jours, me muant en apprentie éleveuse. Des seaux d’orge d’une main, des bobines de clôture dans l’autre et, surtout, le récit de sa vie dans mes carnets.

Sur les collines du Tarn-et Garonne, Fabienne fait partie des ces rares paysannes qui élèvent en extérieur des porcs noir gascons (sur les 23,3 millions de cochons qui sont élevés et abattus chaque année en France, 95% proviennent d’élevages intensifs aux conditions désastreuses et moins de 1%1 sont élevés en plein air. ). Des vaches de race Blonde d’Aquitaine et de race Angus complètent le cheptel. De l’orge qu’elle donne à ses cochons à la transformation de la viande, Fabienne maîtrise tous les pôles de production de cet élevage extensif labellisé Nature & Progrès.

L’histoire commence dans les années quatre-vingt quand son père s’installe comme paysan dans le Tarn-et-Garonne, un vieux rêve.

De cette adolescence dans les champs, Fabienne garde le souvenir d’aller aider dès son cartable posé. Elle suit des études d’ébénisterie avant de partir 10 ans au Canada, où elle réalise des maquettes d'architecture. Lors de son retour en France en 2002, son père lui propose de reprendre la ferme. « Je me suis dit, pourquoi pas. Au fond, ça m’avait toujours attirée ». Un BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole) en poche, elle reprend l’activité ce fameux été 2003, celui de la canicule « j’ai passé mon dernier été de liberté avant installation à faire des clôtures, il n’y avait plus d'herbe pour les vaches, il leur fallait de nouvelles prairies ». Pour palier à ça, elle se retrouve à acheter plus de terres, passant de 40 à 70 hectares, un travail d’entretien intense pour elle qui travaille seule.

Fabienne touche à tout. Pour elle, c’est un équilibre nécessaire. Ça créé ce lien au sol, à la nature, aux plantes

18 ans plus tard, la ferme est revenue à ses 40 hectares initiaux. Elle y fait pâturer ses 10 vaches, ses 25 cochons et produit des céréales pour nourrir ses animaux : de l’orge, du pois, de l’avoine mais aussi du foin et de la luzerne. Fabienne touche à tout. Pour elle, c’est un équilibre nécessaire. Ça créé ce lien au sol, à la nature, aux plantes, dont elle aime la pluralité des activités au fil de l’année « J’aime le changement avec le rythme des saisons : le moment des foins, celui des céréales, puis c’est la mise à l’herbe pour les vaches au printemps, et on les rentre en hiver. ». Je ne sais pas ce que Fabienne n’a pas fait au cours de sa vie. Soucieuse d’être la plus autonome possible, elle m’emmène au jardin où nous passons la matinée à planter les futurs légumes du potager. L’après-midi, nous nous reposons à l’ombre des arbres fruitiers qu’elle a plantés en arrivant sur le terrain puis, le soir venu, elle me fait goûter le vin qu’elle a produit pendant un temps, et me parle des bières qu’elle a brassées.

Des porcs gascons : pour sauver cette race rustique qui, à l'époque, était sur le point de disparaître au profit de celles plus adaptées à l’industrie

Chez elle, les journées sont rythmées par le nourrissage des porcs noirs, matin et soir. Quand ils entendent les bruits des seaux, les cochons se ruent dans l’étable et se bousculent dans un brouhaha assourdissant. Les auges remplies, le silence revient et on ré-entend le chant des oiseaux qui nichent dans les chênes attenants au parc des gascons. Le choix de la race gasconne ? C’était celui de son père qui, avec d’autres paysans, s’est mobilisé pour sauver la race, sur le point de disparaître à l’époque au profit d’autres cochons au profil plus adapté à l’industrie. Fabienne les a gardés : ils sont rustiques, à la croissance lente, adaptés au plein air et puis « c’est un cochon qui est super attachant et super bon ». Un matin, nous décidons de leur rendre visite avant de vaquer à nos diverses activités. Le soleil est encore derrière les chênes et les cochons dorment à l’orée des bois, blottis les uns contre les autres dans les nids qu’ils ont creusé. Notre entrée dans le parc suscite la curiosité des plus jeunes qui arrivent en courant, les oreilles se soulèvent au rythme de leurs pas à travers les camomilles. Perdue les yeux dans le viseur de mon appareil, je sens un groin me toucher le dos. Je me retourne et me voilà entourée d’une bande de porcelets qui se demandent ce que je peux bien faire là, allongée dans la terre, devant les truies. Quelques caresses plus tard, nous voilà reparties. 

Le troupeau meugle, impatient de brouter les herbes hautes, ponctuées de taches violettes, des orchidées sauvages.

La journée avançant, nous partons réparer les clôtures du parc des vaches pour leur offrir une prairie riche et vallonnée à pâturer. En entendant le bruit du marteau qui tape sur les piquets, le troupeau meugle, impatient de brouter la nouvelle parcelle aux herbes hautes et ponctuées de taches violettes, des orchidées sauvages.

Une semaine par mois, d’octobre à juin, Fabienne « charcute » deux cochons et un veau. De la viande fraîche et de délicieuses charcuteries vendues en direct : Coppa, noix de jambon séchée, ventreche, pâtés, boudins, saucisses et même récemment une gamme de savons qu’elle développe avec des amis, Ibbéo cosmétiques. Une manière de valoriser toutes les parties de l’animal, y compris la graisse de cochon qui d’ordinaire est jetée.

Ça me donne de l’espoir de voir tous ces projets qui dépassent le cadre purement professionnel : des choix de vies souvent décrits comme marginaux, intimement liés au sol, aux saisons, dépendants d’une météo dont en ville on ne comprend plus les tenants et aboutissants.

Son travail, je le perçois comme profondément militant. D’ailleurs elle n’aime pas l’appellation « exploitante agricole », elle me dit qu’elle n’exploite personne, encore moins la terre. Un soir, elle m’invite à une réunion Nature & Progrès, label et association au sein de laquelle elle est très investie. À l’ordre du jour, les comptes rendus de visites de plusieurs fermes pour en vérifier la compatibilité avec le label. Autour de la table, les activités sont variées : élevage, maraîchage, production de céréales, plantes à tisanes ou encore cosmétiques. Pourtant les constats sont les mêmes, en cette fin mai ça parle de sécheresse à tout va. Avant d’y aller nous sommes passées voir le champ d’orge de Fabienne, il n’a pas assez plu au printemps, les adventices ont pris le pas sur la graminée, trop chétive pour être récoltée. Elle sera surement broyée au sol, forçant l’éleveuse à acheter des céréales, c’est la première fois que ça lui arrive. Avec l’augmentation du prix des céréales, ça n’est pas vraiment le moment. Quand je les entends parler, ça ravive mes angoisses d’évoluer dans un monde qui manque d’eau et de nourriture, et le refus des gouvernements de sortir d’une voie capitaliste qui nous mène à notre perte. Pourtant, ça me donne aussi de l’espoir de voir tous ces projets qui dépassent le cadre purement professionnel, des choix de vies souvent décrits comme marginaux, intimement liés au sol, aux saisons, dépendants d’une météo dont en ville on ne comprend plus les tenants et aboutissants. « La ferme, la nature, les animaux font partie entièrement de mon équilibre » me dit Fabienne, ça dépasse le cadre professionnel je vous dit ".

"Transmettre les façons de vivre, de faire, d’aborder la nature, la terre, la nourriture, l’environnement, tout ça je trouve que c’est très important. Si on veut changer les choses, il faut apporter sa pierre à l’édifice" 

Entre deux dégustations de charcuterie dans la maison aux murs en terre qu’elle rénove, je lui demande ce qui l’a motivée à faire venir des personnes chez elle. Ça a commencé quand elle était en GAEC, en accueillant à la ferme des jeunes en difficulté avec leurs éducateurs « au niveau des échanges c’est intéressant, on ne bouge pas beaucoup avec l’élevage, on est assez coincé sur le lieu. Alors ce sont les gens qui viennent nous voir, qui nous font voyager, c’est pas mal ! ». Quand elle s’est réinstallée seule, l’envie de continuer à partager son quotidien est venue naturellement « La BIO se démocratise. Chez Nature & Progrès, on est pas énormément nombreux comme producteurs. Et dans les petites fermes, on est pas très bons dans la com. Transmettre les façons de vivre, de faire, d’aborder la nature, la terre, la nourriture, l’environnement, tout ça je trouve que c’est vachement important. Et quelque part, si on veut changer les choses, il faut bien apporter sa pierre à l’édifice ».

Au delà des portes de sa ferme, Fabienne m’a ouvert son quotidien.

En dix jours à la ferme du Truffié, j’ai rencontré plein de monde. Il y a Fabrice, producteur de légumes et de fruits bio qui ouvre une guinguette sur sa ferme et puis Muriel, vigneronne du domaine AntocyÂme qui vinifie des vins nature délicieux. Toutes et tous avec le même engagement et la même générosité que Fabienne. Au delà des portes de sa ferme, Fabienne m’a ouvert son quotidien. Ces cafés sur la place du marché avec un panier en osier, ces soirées au jardin, un verre à la main, la flamme du barbecue qui nous éclaire et les moutons qui ruminent tout à côté, ces confitures de fraise qui embaument la maison et ces discussions animées autour du petit déjeuner. Je donc suis repartie le sac rempli de charcuteries, pour emporter un peu de terroir gascon dans ma Loire-Atlantique, et continuer à me délecter des produits et des engagements de la ferme du Truffié.


Aller en WWOOFing chez Fabienne, à La Ferme du Truffié


Evaine Merle, des reportages en immersion dans les fermes WWOOF

"Diplômée de photographie, de nombreux WWOOFing m’ont permis de me former en conditions réelles, de comprendre les enjeux auxquels font face les agriculteur-ice-s au quotidien. Cela a bouleversé ma manière de photographier. (…) Je ne suis plus uniquement spectatrice de mes reportages, j’en suis devenue actrice à part entière. Cela m’enrichit, me passionne, je sème des histoires de campagnes afin de mettre en valeur des initiatives qui, je l’espère, germeront dans les esprits. À l’aube d’un épuisement de nombreuses ressources naturelles, d’une perte de biodiversité effarante, d’un changement climatique qui devient plus que palpable, je pense que nous avons tou-te-s besoin à de changer de récit, de montrer qu’il est possible d’agir chacun à notre échelle pour construire un monde en partage, plus vert, plus gourmand et plus vertueux."

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