Automne

Article mis à jour le 19.09.2023

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"J’ai été surpris quand elle m'a dit qu’elle devenait éleveuse de cochons…"

Clément vivait en autonomie dans une ferme collective, lorsqu'il retrouve Noémie, une brillante copine de promo reconvertie en éleveuse de porcs noirs. Pendant un an, il l'observe tenter de produire une nourriture saine. Mais ces bases du métier se heurtent à la concurrence de l'élevage industriel. Leur livre raconte bien à quel point "bien nourrir" est aujourd'hui devenu un acte de résistance. Extraits :

La relation de Noémie avec ses truies dure plusieurs années. © La relation de Noémie avec ses truies est intime et dure plusieurs années.
Les porcs noirs ont une croissance lente. L'engraissement sur l'élevage de Noémie dure de 12 à 14 mois. © Les porcs noirs ont une croissance lente. L'engraissement sur l'élevage de Noémie dure de 12 à 14 mois.
Une mise bas en pleine nuit. Noémie n'assiste pas systématiquement ses truies.
Noémie donne les premiers coups de couteau dans les carcasses à la "CUMA", l'atelier de découpe coopératif partagé avec d'autres éleveurs. © Noémie donne les premiers coups de couteau dans les carcasses à la "CUMA", l'atelier de découpe coopératif partagé avec d'autres éleveurs.
Noémie dans le séchoir de la "CUMA", atelier de découpe coopératif partagé entre différents éleveurs. © Noémie dans le séchoir de la "CUMA", atelier de découpe coopératif partagé entre différents éleveurs
Noémie à son stand sur le marché de Mauvezin le samedi matin. © Noémie à son stand sur le marché de Mauvezin le samedi matin.
"Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse" Noémie Calais, Clément Osé, éditions Tana, septembre 2022 © Clément OSé

"J’avais rejoint une ferme collective en cours d’autorénovation, bientôt autonome en énergie, en eau, en légumes, et d’une radicalité qui me faisait grand bien. En vaillant néorural, je m’initiais à la construction, à la boulangerie, au potager, au poulailler, à la tonte des moutons. J’avais découvert les échardes et les ampoules à la base des doigts, le vent qui arrache les serres, le mildiou et le chiendent. Je jardinais, mais je ne nourrissais personne d’autre que les habitants de ma ferme, et mes revenus ne dépendaient pas de ma modeste production potagère, n’étaient pas trop soumis aux intempéries. Noémie, elle, avait entrepris de vivre de l’agriculture, de s’y consacrer à plein temps, d’aller sur le marché. Je me suis dit qu’elle allait plus loin et plus fort dans la paysannerie.

Rencontre avec les auteurs dans le Rhône le 21 - 22 et 23 septembre 2023

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Elle m’intriguait. Son activité détonnait chez les néoruraux en quête de bucolique dans mon genre, souvent plus enclins à cultiver des plantes aromatiques qu’à élever et à découper des porcs. Quand même. Je me demandais à quoi ressemblait son quotidien, comment elle le vivait dans sa tête et dans son corps, elle qui venait de si loin. J’imaginais l’élevage et la boucherie comme des milieux très masculins, et je supposais que ça ne devait pas toujours être évident d’être une femme, ou une éleveuse d’ailleurs, à une époque où le sujet de la viande était devenu aussi polémique.

"Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse" Noémie Calais, Clément Osé

Éditions Tana, septembre 2022

En ce qui me concerne, j’ai arrêté d’en acheter à cause de son empreinte écologique, parce qu’on n’a pas assez de place et de ressources sur terre pour généraliser le régime alimentaire du Français moyen. Dans le fond, je me demande à quelles conditions on pourrait nourrir durablement tout le monde, c’est-à-dire sans détruire l’environnement, sans épuiser les ressources, sans trop réchauffer le climat. Je me demande si l’activité de Noémie y contribue. Son modèle est exemplaire : elle travaille en plein air, en bio, en circuit court, au sein d’un collectif fermier. Mais est-ce que la production de viande est un luxe qu’on peut encore se permettre ?

"Témoigner du monde nouveau, joyeux et subversif qui naît par nécessité."

Clément a fait quatre séjours dans la ferme de Noémie. Ensemble ils racontent à quel point bien nourrir était devenu un acte de résistance. © @Clément Osé
"Des rencontres me rappellent qu'être une femme, éleveuse et bouchère, peut encore sembler atypique." © Clément Osé
Au marché : "- C'est votre mari qui vous aide ? - Non, je fais tout moi-même. Naissance, élevage, découpe, charcuterie, vente, gestion. - Ça doit être du boulot ! - oui, comme vous dites !" © Clément Osé

Quand je lui ai parlé de faire un livre, Noémie m’a répondu qu’elle en avait eu envie souvent mais que le temps lui avait toujours manqué. Elle m’a dit qu’il y avait besoin de faire connaître le travail des petits éleveurs pour sortir d’un débat confisqué par le manichéisme, par le « pour ou contre l’élevage », par l’opposition binaire entre véganisme et industrie de la viande, qui occulte la possibilité d’une autre relation à l’animal, à la vie, à la mort. Elle voulait remettre sur la table le vécu et les vérités de terrain pour lutter contre la déconnexion générale vis-à-vis de l’alimentation, dire les absurdités et les injustices imposées aux paysans, relayer leur lutte et leur appel, et surtout témoigner du monde nouveau, joyeux et subversif qui naît par nécessité.

On a convenu d’écrire à deux, de raconter son histoire pour parler de la société et de faire rebondir nos points de vue. En ce qui me concerne, j’alternerais entre le rôle du biographe et celui de l’observateur. Noémie, elle, ouvrirait ses carnets pour livrer ses mots bruts, sans filtre.
Entre décembre 2020 et novembre 2021, je suis allé quatre fois dans le Gers pour partager le travail, le quotidien et les conversations de l’éleveuse de porcs noirs."


"Un aller-simple pour la terre" et "De la neige pour Suzanne" : histoires d'une transition

"Un jour, j'en ai eu marre que la beauté du monde s'éteigne sans rien y pouvoir. J'ai quitté ma banlieue, mon embryon de carrière, mon embryon de salaire, et je suis allé voir ailleurs si j'y étais. Et j'y suis toujours. Ça fait trois ans. Habiter et travailler dans une ferme, collective, décroissante, ce n'est pas simple, pas suffisant, parfois c'est dur, et même pénible. Mais je ne me suis jamais senti aussi libre, aussi vivant."

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