"Je viens de quitter la ferme d'Aline où j'ai fait du WWOOFing. J’avais beau avoir un aperçu du monde paysan à la tv, le vrai quotidien a rattrapé toutes mes idées préconçues. J’ai l’impression de me retrouver propulsée dans un mode de vie à mille lieux du mien. Et pourtant je suis issue de la classe sociale ouvrière ou moyenne. Je m'appelle Céline, j'ai 25 ans."
C’est dingue comment des gens si proches géographiquement peuvent vivre de manière foncièrement différente. On remplace le contact humain froid auquel on est confronté chaque jour au bureau par des liens sociaux plus restreints, mais avec beaucoup plus de chaleur et de sincérité. On remplace un lieu collectif, impersonnel où errent des âmes qui ne s’apprivoisent que par un bonjour quand ils sont en forme, par un lieu privé auquel on connait chaque recoin et pour lequel on éprouve du plaisir à réorganiser et optimiser car c’est « notre endroit ». On échange les pauses cafés - qui sont les seules motivations de la journée - par rien du tout, ou la tronche sous le robinet d’eau glaciale. Je remplace ma sueur acide parce que je suis stressée d’intervenir en réunion, par de la transpiration abondante et inodore qui fait coller mon t-shirt. Je remplace mon mal de dos dû aux 7 heures en position assise, par des moments où je ne sais plus me relever avec ma botte de foin dans les mains. Mon dos passe de mou à mi-mou et je n’ai plus de douleurs à part quand je mets 3h à réussir à soulever une brebis. Je remplace les premières minutes qui ont l’art de gâcher ma journée à passer dire bonjour à tout le monde en se forcant à sourire, par des "bonjours les gonz !" aux brebis bien curieuses de voir qui débarque. Je me rends compte que c’est tellement satisfaisant de se laver les mains quand elles ont en vraiment besoin et non pas uniquement par principe.
On ne se salit pas les mains au bureau, on ne manipule rien, on ne crée rien, on n’invente rien, on poursuit juste des choses dématerialisées que d’autres ont mis en place. On fabrique des politiques, des indicateurs à suivre, on remplit les tableaux Excel et à chaque fin de cycle on en fait un gros résumé qu’on assemblera dans un beau powerpoint. Suite à cela, on nous fera des remarques de modification qu’on inscrira dans un plan d’actions puis on résumera ces actions dans un joli Powerpoint. Qu’y a-t-il de palpable là-dedans ? A part les cafés durant la pause et les barquettes en plastiques du déjeuner, pas grand-chose. Qui est-ce qu’on aide là-dedans ? Mis à part enrichir les plus riches et faire grandir les entreprises du rien. Ce sont de grandes piscines ou les salariés brassent de l’air qui gonfleront le CA à coup de réunions à 3 000 balles et de coup de com sur des goodies « éthiques » Aliexpress.
Le WWOOFing est la meilleure façon de s’immerger à un moment donné dans la vie de la personne qui aura la grande ouverture d’esprit et la grande générosité de bien vouloir vous y accueillir. On vient vous sortir de chez vous et vous poser tel quel dans la vie de l’agriculteur dans le même genre que la pince de RollerCoaster. Ma chambre est celle de la fille ainée et rien n’a été changé, modifié pour accueillir le WWOOFeur, chaque élément est resté tel qui l'a toujours été jusqu’au peignoir accroché à la porte de l’armoire. En WWOOFant, tu utilises tes sens, si tristement mis de coté quand tu es dans l’open space. Tu sens la bergerie, tu t’étouffes dans le foin, tu restes alerte sur les brebis prêtent à agneler, les agneaux perdus, ceux qui nécessitent le biberon ou des soins, tu passes ton temps à escalader des barrières, courir après les brebis, les attraper, soigner les plaies à la Bétadine, faire des noeuds, caresser les chiens, gueuler sur les chiens, gueuler pour parler à Aline, car ça gueule pas mal à la bergerie. En fait chaque sens est utilisé et pas juste tes yeux qui te piquent à la fin d’une journée passée devant l’écran à faire des aller-retours entre l’écran et le 2e écran.
Au-delà d’être une expérience sensorielle, qui est pour moi synonyme de vie et d’ancrage dans le monde, c’est aussi beaucoup de liens humains et beaucoup plus que ce je ne croyais. Entre les copains paysans, ceux de la ville, les nombreux WWOOFeurs, le cercle de femmes et les autres, Aline a carrément plus de vie sociale que moi. J’avais peur de perdre cette vie sociale qui est pour moi inhérente à la vie en ville, alors qu’en fait c’est bien l’inverse."
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