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Article mis à jour le 24.07.2024

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Douze étés plus tard, je quitte la ville pour la campagne

Mon premier WWOOFing, c'était en 2011. Et à ce moment de ma vie, l'agriculture bio n'était encore qu'un arrière plan. J'étais bien loin de me douter que tout cela allait s'inverser. Au moment où j'écris - douze en plus tard ! - je vis en Espagne. Dans le village où j'ai fait mon dernier WWOOFing en 2023. Je travaille dans une asso à préserver la vie rurale. Voici mes carnets de WWOOFing, de la plus ancienne expérience à la plus récente (et déterminante) tout en bas de la page.


Premier WWOOFing : août 2011 - Chez Klaus et Maria, Autriche - "Entre les photos et la réalité, tout un monde !"

Nom du grand-père ? Klaus. Nom du père ? Klaus. Nom du fils aîné ? Klaus. Trois générations vivent sous le même toit dans une ferme laitière, essentiellement de la vente de bouteilles de lait et de la production de mozzarella. La famille s’alimente de son petit potager et de son poulailler, et la grand-mère se fait un plaisir, en cuisine, de concocter des plats traditionnels autrichiens : Goulash, knödel … Quand on cuisine ensemble , on est bien d’accord : la cuisine n’est pas une affaire de proportions, c’est une affaire d’intuition !

Il paraît qu’entre les photos et la réalité, il y a souvent un monde à découvrir, et justement, les petits que je m’attendais à rencontrer en voyant la photo de profil de la famille sur le site de l’association WWOOF ont bien grandi, et ils ont désormais 12, 18 et 21 ans . Le plus jeune, Markus, est ravi d’avoir de la compagnie étrangère et utilise régulièrement des mots de dialecte pour me parler, en vérifiant quand même si je le comprends ! Le plus grand, qui a mon âge, rigole bien en me voyant suer pour faire le foin, et abat en un temps record des tâches qu’il va encore me falloir du temps pour apprendre…

J'apprends à vivre au quotidien avec des personnes, à partager leur intimité…


Il paraît aussi que rien ne se passe jamais comme prévu dans la vie, et pas toujours pour le meilleur. Justement, la famille doit faire face au diagnostic médical du père au moment de mon arrivée. Il est gravement malade et décède quelques semaines après mon arrivée. Je demande à son épouse si elle préfère que je reste ou que je parte, et elle me propose de rester .

Les tâches principales que je fais avec la famille sont dans la transformation du lait . Je suis associée à la fabrication de la mozzarella . Il faut plonger ses mains dans un grand bac dans lequel le lait fait l’objet d’une première transformation , qui le rend chaud et grumeleux, pour ensuite mettre les morceaux dans de grands tubes de plastique percés pour que s’écoule le petit lait. Ensuite, on démoule le tout, avant de succomber à la tentation de plonger dans le bac, et on obtient une belle pâte dont la forme rappelle les frites en mousse qu’on utilise à la piscine pour apprendre à nager, couleur fluo en moins…

L’heure n’est pas tellement à passer de longs moments avec la famille, ce qui est bien compréhensible, ce qui ne nous empêche pas de discuter de temps à autre de nos vies en France et en Autriche, de religion… J’ai accès à un vélo pour explorer la région , et il n’y a vraiment pas de quoi s’ennuyer : abbaye de Melk, qui a inspiré le roman Le Nom de la Rose , d’Umberto Eco, maison du peintre Kokoschka, châteaux du Danube… Dans un musée local, je rencontre Jasmin, une guide qui a mon âge , et qui m’adopte dès la fin de la visite. On part régulièrement explorer la région ensemble, et voilà que j’ai désormais deux familles dans le coin !

Au bout de trois semaines, le moment est venu de faire un petit tour à Vienne et de rentrer en France pour continuer d’étudier… Je repars enchantée par les petits villages aux maisons colorées, qui contrastent sacrément avec Vienne, qui me paraît grise et massive malgré tout son intérêt. Je suis à la fois contente de cette expérience et de ce que j’ai appris à la ferme, touchée par la gentillesse des personnes que j’ai rencontrées , et quand même aussi un peu secouée par le contexte dans lequel s’est déroulé mon séjour. J'apprend ce que ça peut impliquer de vivre au quotidien avec des personnes, et de partager leur intimité


Été 2012 - Chez Jenny et Tom, Tasmanie - "Fabrication de ginger beer, cup of tea et "soirées Barbie"...


Jenny et Tom ne sont pas des agriculteurs de métier, mais ils ont fait le choix d’une vie plus simple à la campagne , et ont acheté une jolie maison dans laquelle ils développent leur potager, élèvent quelques vaches et transforment des produits . Jenny continue de travailler comme infirmière à Hobart et Tom s’occupe de la maison.

Nous sommes deux à séjourner chez ce gentil couple. Ayako est japonaise et est venue tenter l’aventure australienne avec un permis vacances-travail. Elle est coiffeuse de métier et exerce sa profession depuis son arrivée à Sydney, dans un salon asiatique, où elle a eu peu d’occasions de pratiquer l’anglais qu’elle étudie chaque jour avec beaucoup de sérieux. Quand elle a un doute et que je l’aiguille, elle me lance un « Thank you teacher ! » . Elle a une capacité d’adaptation assez impressionnante, à l’aise autant pour enfiler les bottes et couper les herbes mortes dans le jardin que pour se pomponner et s’habiller très élégamment le jour où on sort ensemble à un marché en ville .

La maison est entourée par une forêt sauvage où j’adore aller me promener en solo, même si ça inquiète la patronne des lieux… Pedro, le jeune chien de la maison qui adore m’accompagner.
Jenny et Tom ne sont pas des agriculteurs de métier, mais ils ont fait le choix d’une vie plus simple à la campagne, et ont acheté une jolie maison dans laquelle ils développent leur potager, élèvent quelques vaches et transforment des produits.
on désherbe le jardin et on coupe les branches portes, on cueille des fruits, on nourrit les poules, on fabrique de la ginger beer et on cuisine des plats de nos pays pour toute la famille…

"J'aide à faire monter une vache dans un camion, avec tendresse, mais, ça ne change pas la destination..."

Le rythme est assez tranquille, on désherbe le jardin et on coupe les branches portes, on cueille des fruits, on nourrit les poules, on fabrique de la ginger beer et on cuisine des plats de nos pays pour toute la famille … Avec des pauses cup of tea et des soirées « barbie » (barbecue en argot australien) . Un jour je dois aider Tom à faire monter une de leurs vaches dans un camion, c’est fait avec tendresse mais ça ne change pas la destination … Chacun ses sources de revenus et son régime alimentaire.

La maison est entourée par une forêt sauvage où j’adore aller me promener en solo , même si ça inquiète la patronne des lieux… Les serpents locaux ne sont pas tout à fait inoffensifs, et pendant la saison des amours, en été, ils peuvent se montrer particulièrement agressifs s’ils se sentent interrompus alors qu’ils souhaitaient s’accoupler. Heureusement, je ne paie pas le prix de mon insouciance, et il en va de même pour Pedro, le jeune chien de la maison qui adore m’accompagner .

Avant de partir j’accomplis le rituel du petit mot dans le livre d’or , qui transporte son lecteur dans bien des lieux différents. Tom me parle longuement de Bérénice, une volontaire française avec laquelle ils ont toujours un lien, et qui s’est mariée cette année , avec quelqu’un qui « ne pouvait pas être n’importe qui », vu son personnage. On verra si la vie nous fait nous partager ces nouvelles aussi…


Été 2013 - Allemagne - Chez Rebecca et Jochen - "Cinq enfants, un ami, trois chiens, sept chats, des cochons, des poules, des chèvres… et moi !"


En cherchant une occasion d’aller faire un peu de Wwoofing et de pratiquer mon allemand dans une région facilement accessible depuis Lyon, le nom de la ferme de Rebecca et Jochen, « Tachen Ar Loar », a retenu mon attention : il signifie « Ferme de la lune » en breton. Ayant des origines du Finistère Sud, ça m’a donné envie de les contacter et d’en savoir plus. Me voilà donc partie pour un trajet en trois étapes, Lyon-Mulhouse, Mulhouse-Fribourg (une des deux villes dites les plus vertes d’Allemagne avec Heidelberg), et enfin Fribourg-Schluchsee avec un train régional.

Ville de Fribourg, promenades au bord de l’eau et maisons à colombages. Après avoir pu profiter quelques heures des charmes de Fribourg, j’ai été mise dans le bain, dès mon arrivée, de l’ambiance alternative locale, avec une fête médiévale dans le village le plus proche de Grafenhausen. Habits d’époque, buffet généreux, partages simples et belles discussions autour de projets agroécologiques . Le mystère de « Tachen Ar Loar » est vite percé : le village de Grafenhausen est jumelé avec celui, dans le Finistère Sud, de
Sainte-Marine Combrit… Où j’ai passé tous mes étés jumelage, et leur a donné envie de marquer un peu la mémoire de ce moment.

Le lendemain, je commence à prendre connaissance des différents chantiers de la ferme de Rebecca et Jochen, et c’est peu dire qu’il n’y a pas matière à s’ennuyer, entre la variété de leurs activités et tout le beau monde présent à la maison . Rebecca et Jochen vivent avec cinq enfants, dont deux pour lesquels ils sont famille d’accueil , un ami qui vit dans une caravane sur leur terrain et travaille avec eux, trois chiens, sept chats dont un qui adore patouner et venir squatter sur mes genoux quand je lis, des cochons, des poules, des chèvres

Rebecca m’apprend comment traire une chèvre manuellement, en faisant bien attention à ne pas prendre un coup de corne. J’adore faire ça !

Ferme Tachen Ar Loar et un de ses habitants en plein partage de lecture. Nous sommes trois volontaires, un canadien et deux français , hébergés dans la maison, pour les soutenir dans leur travail à ce moment de l’été. Des groupes d’enfants sont régulièrement accueillis dans le cadre d’activités d’éducation environnementale d’ateliers médiévaux, où ils font des promenades dans la nature, du tir à l’arc, du bricolage avec par exemple une après-midi dédiée à la fabrication de petites bourses en cuir avec des matériaux récupérés, de la musique… Il y a également un potager que nous entretenons quotidiennement, et des fruits sauvages, notamment des framboises , que nous pouvons cueillir dans les environs. Les courgettes prolifèrent pendant mon séjour et Rebecca ne sait plus quoi en faire, nous en mettons dans tout ce que nous pouvons, le pain, les gâteaux, sans jamais en venir à bout !

Il faut également s’occuper des animaux : nourrir les poules et les cochons (qu’on pourrait passer des heures à observer pour comprendre comment ils répartissent les aliments entre eux), et entretenir les parcs des chèvres (en s’équipant de gants et en faisant attention à ne pas prendre de décharges électriques en rafistolant les barbelés). Rebecca m’apprend comment traire une chèvre manuellement, en faisant bien attention à la façon dont je la tiens pour ne pas prendre un coup de corne . J’adore faire ça.

Une copine se moque de moi quand je lui raconte en revenant à Lyon que j’ai appris à faire ça et me demande à quoi ça sert. Pas grave.
Pour anticiper l’hiver dans la Forêt Noire, nous préparons des bûches, les transportons dans des brouettes et les stockons .

Le comportement d’un des volontaires me gêne : fier de ne pas avoir à cuisiner quand il y a des femmes pour le faire


Traite manuelle des chèvres et transport de bûches en brouette. On se fait les bras ! J’aide régulièrement Rebecca dans ses diverses préparations : pains maison, liqueurs et confitures de fruits et de fleurs, séchage d’herbes, fromage de chèvre fait en caillant le lait dans du citron et en le séchant dans un chiffon … Je fais aussi régulièrement la cuisine pour la belle marmaille de la maison, avec elle ou seule pour la soulager un peu. Je le fais avec plaisir, mais le comportement d’un des volontaires me gêne beaucoup : il se gausse de ne pas cuisiner quand des femmes sont présentes , commente la nourriture et essaie de nous amener à la préparer de la façon qu’il préfère… Tout en estimant que ce sont des tâches tranquilles et qu’il travaille plus dur. En sachant qu’on participe aussi à des tâches physiques, mais que des fois on part plus tôt parce qu’on n’a pas envie que tout le monde mange son repas de midi à 17 heures… J’ai du mal à être ferme, mais je crois que cette situation est assez classique, et ça me gonfle !
La région est très belle et nous disposons de plusieurs heures de temps libre pour en profiter. Rebecca se joint une fois à nous à l’occasion d’une promenade au bord du Titisee, et nous avons une bicyclette à disposition . La ferme est située près de la brasserie Rot Haus, qui offre une récompense idéale après quelques efforts sportifs ! Nos hôtes sont très occupés, mais il n’y a pas de problème pour leur annoncer quand nous prenons un temps pour nous, pour aller faire une excursion ou nous reposer.
Je repars enchantée par mon séjour, et la générosité de mes hôtes. Nous nous reverrons une année plus tard, à l’occasion d’un trajet en voiture de Berlin à Lyon que j’étale sur plusieurs jours, et si je retourne à Sainte-Marine Combrit, je pourrai contempler avec tendresse la pancarte dédiée dans le village au jumelage avec Grafenhausen.


Irlande - juillet 2015 - Un séjour problématique


Ma meilleure amie part faire un stage de médecine de deux mois à Dublin c’est l’occasion pour nous de nous rejoindre en terres celtiques et d’aller faire un séjour de Wwoofing ensemble. On prend notre adhésion ensemble et plusieurs annonces ont l’air intéressantes, mais celle d’un producteur qui a une licence pour cueillir des algues dans la mer et fabriquer des produits à partir de celles-ci retient
particulièrement notre attention
, et on se met d’accord avec lui pour effectuer un volontariat d’une dizaine de jours, dans la baie de Dunmus, au Sud-Ouest de l’Irlande, à une heure de Cork.

Peu avant notre arrivée, notre hôte nous explique qu’on va passer dans un premier temps un weekend à un festival de yoga , auquel participe sa compagne, elle-même professeur de yoga, et aider à l’organisation avant de nous consacrer au volontariat dans son exploitation. Le cadre est agréable, on est contentes de participer aux cours, d’aider en cuisine et de rencontrer du beau monde, mais on aimerait que les choses soient un peu plus claires sur ce qu’on va devoir faire et sur l’amplitude horaire de notre volontariat … C’est le début pour nous d’ un séjour au bilan mitigé, entre le plaisir d’être au bord de la mer, de travailler les algues, de faire plusieurs rencontres intéressantes, et les exigences excessives d’adaptation aux besoins du couple de notre hôte, et à d’autres difficultés qu’il traverse .

A la fin du festival, on passe une nuit dans la maison de la compagne de notre hôte et on lui donne un coup de main pour nettoyer sa maison avant une visite de ses élèves. On reviendra régulièrement avec lui pour lui rendre visite, et elle nous laissera à de nombreuses reprises garder un œil sur son enfant âgé de huit ans, content de jouer avec nous mais aussi difficile et provoquant avec les adultes. On rejoint ensuite notre hébergement : une yourte au bord de la mer , depuis laquelle nous pouvons voir un château acheté par l’acteur Jeremy Irons, qu’il a fait restaurer comme à l’époque médiévale. Les couchers de soleil sur la mer et le château sont à couper le souffle. C’est difficile, en revanche, de parler avec le même enthousiasme de notre hébergement. Les draps sont tellement sales qu’il n’est pas envisageable pour nous de dormir dedans et on s’empresse de les laver à la main et de les faire sécher à notre arrivée . Il fait froid la nuit, notre hôte nous dit qu’on peut allumer le poêle à charbon pour se réchauffer, sauf qu’il n’a pas servi depuis plusieurs mois et qu’au moment où on le fait, on entend le bruit d’un oiseau qui a fait son nid et se débat dans le conduit, on jette immédiatement de l’eau sur le feu pour ne pas le tuer et ne pas nous asphyxier, et il finit par arriver à s’échapper le lendemain matin. On a fait ce qu’on avait à faire, mais maintenant qu’on a mouillé le poêle il n’est plus possible de l’utiliser. Nous attendrons le retour de notre hôte pour lui signaler, puisqu’il reste assez énigmatique sur le lieu où il vit mais qu’il ne dort pas au même endroit que nous dans tous les cas .

(...) On se garde de partager ce qu’on en pense, pour ne pas mettre notre hôte dans une position compliquée. Je regrette qu’on ne l’ait pas fait avec diplomatie, mais on ne parle pas non plus avec notre hôte de comment on a vécu notre séjour, parce qu’on voit bien qu’il est pris dans de nombreuses difficultés, qui ne le mettent pas en situation de pouvoir correctement accueillir des WWOOFeurs . Quoi qu’il en soit, si on est restées quasiment sur l’ensemble de la période que l’on avait convenue parce qu’on a su apprécier les éléments positifs de ce séjour, et il s’est révélé particulièrement opportun, vu le contexte, que l’on parte faire ce volontariat à deux.

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L'expérience décrite ci-dessus par Aurélie est très problématique. En cas de problème - que vous soyez hôte ou volontaire - contactez nous : support@wwoof.fr ou bien du lundi au vendredi de 9h à 12h au 09 70 26 63 36 (appel non surtaxé).
Merci pour les autres et pour le projet


Avril 2021 - Confinement chez Tatiana dans le Luberon - "Ânes de bâts et bières artisanales."


Le 31 mars 2021, pour mes collègues de l’équipe de nuit du SAMU social et moi, c’est la fin du Plan Froid, de 5 mois de maraude entre 18 heures et 1 heure 30 du matin, au terme desquels on attend tous avec impatience de pouvoir changer un peu d’air… Et le même soir, bim ! Un nouveau confinement est annoncé pour un mois . Ça laisse trois jours pour se retourner et aller quand même se dépayser, en choisissant un lieu stable où rester. C’est comme ça que j’entre en contact avec Tatiana, une dame italienne d’une soixantaine d’années, installée depuis longtemps au pied du Mont Ventoux avec ses ânes de bât . J’ai un coup de cœur pour elle au téléphone, elle est marrante et elle me parle vite de son entourage social, de sa voisine qui fabrique des bières et que je pourrai aussi aider de temps en temps si ça m’intéresse, des différentes tâches qu’on pourra réaliser ensemble… Je suis bien accueillie dès mon arrivée, par Tatiana et la famille de son fils . Nous sommes au pied du Mont Ventoux, mais également à deux pas des Gorges de la Nesque, où ont été identifiées certaines des traces les plus anciennes d’une présence humaine en Europe, et proches des dentelles de Montmirail. C’est le Sud de la France et nous sommes dans une région de champs de lavande, mais ça n’empêche pas que nous soyons en altitude, et qu’il neige même pendant mon séjour au mois d’avril !

Tatiana me présente ses dix-huit ânes et me montre comment les brosser, comment passer derrière eux sans risquer de prendre un coup de sabot, comment leur donner du foin et leur mettre le licol pour les emmener en promenade. Chacun a son caractère, sa couleur, sa taille, c’est une vraie petite famille. Un chantier important au printemps est d’entretenir leurs parcs, de réparer les clôtures cassées et de replanter des piquets, pour qu’ils puissent se promener librement pendant les beaux jours. Un âne, c’est curieux, et ils me suivent tout du long de mon parcours, intrigués de me voir passer avec mon marteau et mes bouts de ficelle ! Il faut également sortir de temps en temps les ânes les plus jeunes pour les habituer à être promenés au licol, et ils sont ravis de leurs marches et de leurs moments de pause pour brouter sarriette et autres herbes des environs.

Un événement, nécessaire et impactant, marque mon séjour : la castration de l’âne Hicham . Il a trois ans et commence à avoir des comportements problématiques pour le groupe, c’est donc une décision nécessaire de faire venir le vétérinaire. Michel, grand ami de Tatiana, et illustrateur de nombreuses bandes dessinées représentant horizons lointains et équidés, est présent en soutien. Pendant l’opération, je suis occupée à des travaux de bricolage sur lesquels je préfère rester concentrée parce que je me dis que ce n’est pas un spectacle, mais j’entends des ânes braire, et c’est assez impressionnant ensuite de voir Hicham, tout groggy, se réveiller. Il se laisse difficilement approcher dans les jours qui suivent, alors comme dans tous les travaux liés au vivant, nous devons accepter qu’il ait besoin de temps .

Tatiana est sur le point de laisser sa maison à disposition de son fils, de sa belle-fille et de sa petite-fille, et de s’installer dans une jolie roulotte sur le même terrain, et nous effectuons donc des travaux de peinture, d’isolement et de vernissage du bois, avec l’aide d’Audrey, une jeune femme très douée de ses mains, qu’elle emploie quelques heures par semaine. Il y a plein de couleurs vives, des animaux peints par Michel, des abats-jour conçus avec ingéniosité par Audrey… J’espère qu’elle se sentira bien dans son nouvel espace. Nous profitons de la présence d’Audrey pour charger le crottin des ânes dans une remorque attelée à son véhicule, pour faire du fumier qui servira notamment à ses voisins– du bonbon !

Je rentre avec une petite graine dans la tête qui commence à germer : d’autres parcours sont possibles

Chez Coralie, tenante de la brasserie artisanale La Josselyne, je découvre encore un autre savoir, au milieu de ses cuves qui abritent des mélanges délicieux et inventifs qu’elle me fait goûter autour d’apéritifs : bière blanche au sureau, bière blonde au thym, bière brune avec des notes de caramel et de café… Un beau travail de chimiste, au subtil dosage . Un panneau humoristique disant que « Tout travail mérite sa bière ! » trône dans la brasserie, et on ne peut pas dire que Coralie chôme en la dirigeant seule. Il faut emmener les bouteilles dans une cave dans laquelle n’entre aucune lumière, afin que puisse se réaliser le processus de fermentation de la bière. J’apprends par cette occasion que c’est un des éléments qui différencient une bière artisanale d’une bière industrielle, dans laquelle le dioxyde de carbone est directement injecté, sans passer par ce processus. J’aide également Coralie à tamponner les étiquettes avec la date de mise en bouteille et fais de mon mieux pour ensuite les coller, mais si elles ne sont pas assez droites et qu’elle préfère s’en occuper elle-même, ce n’est pas parce que j’ai mis la tête dans un fût !

Elle m’emmène avec elle vendre sa production à un marché du coin, on passe un moment agréable à discuter avec des locaux et avec une ancienne éducatrice spécialisée devenue éleveuse d’escargots . On enchaîne ensuite sur une répétition avec un orchestre du coin : en effet, Coralie joue elle aussi du violoncelle, et après m’avoir gentiment prêté son instrument chez Tatiana, elle m’invite à me joindre à son groupe .
Au terme de ces trois semaines de séjour, il est temps de rentrer à Lyon, de prendre un nouveau poste, de rejoindre les proches… La grande ville, le travail de bataille institutionnelle pour accompagner des personnes en grande souffrance ne m’ont pas vraiment manqué, et à défaut de ramener un âne chez moi, je rentre avec une petite graine dans la tête qui commence à germer et à me donner des idées d’autres parcours possibles .


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Avril 2023 - Aldover, Espagne - "Sur place, une belle équipe : les occasions de refaire le monde ne
manquent pas."


Bien accrochée à son projet, Cécile a fait évoluer son terrain avec amour et détermination. En huit ans, elle a surmonté les galères administratives locales qui lui ont permis d’acheter son terrain et sa maison, près de la ville de Tortosa, dans le Sud de la Catalogne. Un lieu à son image au milieu des étendues montagneuses des environs, des oliviers millénaires , des plages très préservées , de villages pleins de charme , ou encore de la Via Verde, piste cyclable construite le long d’une ancienne ligne de train.

Nous sommes cinq à la maison , Cécile , Peps , qui vit aussi sur place et a laissé derrière lui son métier d’assistant de vie auprès de personnes atteintes de pathologies psychiatriques pour se retirer au vert, Laïa, qui partage ses journées entre le volontariat et son travail de chargée de communication pour une association de défense de l’environnement catalane , et Magdalena, venue avec son van depuis l’Autriche pour voir du pays, et envisager de poser ses valises quelque part au soleil, en achetant aussi sa ferme si tout fonctionnait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et puis il y a les voisins, Bérénice, qui a laissé sa vie berlinoise pour un temps et vit dans une finca à quelques minutes de la ferme, Duna, psychiatre adepte de l’antipsychiatrie chez qui j’irais consulter en toute confiance si un jour ça allait mal, des artistes, des agriculteurs

Les occasions de refaire le monde ne manquent pas . Et c’est sans compter la compagnie des chats et des chiens, qui pourraient difficilement espérer un meilleur cadre de vie. Chacun a son hébergement privatif sur le terrain, et pour ma part, j’ai droit à une jolie yourte , juste à côté d’une mare où logent des grenouilles qui me réveillent dans la grâce chaque matin par leurs chants. Je dois surmonter ma peur du noir pour la surmonter quand je vais me coucher, et je développe des techniques d’auto apaisement assez efficaces, en imaginant que des êtres protecteurs marchent à côté de moi !

Chacun essaie au mieux de faire attention aux déchets qu’il produit et à sa consommation d’eau et d’électricité : lessives pendant les heures solaires , petites commissions dans le jardin, au bonheur des plantes, et vidage des toilettes sèches dans le compost, douches avec peu de pression dans le pommeau, utilisation de savons biodégradables, réutilisation de l’eau de la vaisselle pour arroser les plantes

Nous sommes quelques trois cents volontaires à être passés par Penyaflor, ce qui s’observe facilement dans la structuration de nos journées. Pas de place pour l’ennui ni pour la monotonie, en deux semaines de séjour . Quand on installe des tuteurs en bambou pour les tomates, ils faut qu'ils soient particulièrement résistants au vent .

Deux jours plus tard, dans la yourte où je suis logée, je comprends pourquoi elle nous a demandé ça et n’arrive pas à dormir tellement ça souffle ! On cueille et on fait sécher de la luzerne , qui a des vertus médicinales et peut également agrémenter des salades. Ce n’est pas la saison pour cueillir les olives et les amandes, mais Cécile nous fait déguster son huile d’olive et celle d’un autre producteur de la région, et nous nous initions avec plaisir à reconnaître les différents arômes qu’elles peuvent avoir, à comprendre à différence entre une huile d’olive vierge et extra vierge… Un régal.

Construction de nouvelles toilettes sèches. On protège les premiers piliers de la construction, des troncs d’arbres, avec de la térébenthine, et on pèle l’écorce d’autres troncs qui serviront plus tard. Ca sent bon la résine et ça passe les nerfs !
Après avoir écrasé à la main les grumeaux contenus dans l’argile que nous allons utiliser, on retourne en enfance et son joue un peu à voir quelle texture a notre brique, selon la proportion de sable, d’argile, et de paille qu’elle contient, en notant bien les proportions à côté de chaque brique.
Travail de l’argile avant de la mélanger à de la paille et à du sable, pelage de troncs, et construction de toilettes sèches. On expérimente plusieurs mélanges de matériaux dans le but de voir quelle composition sera la plus solide une fois qu’elle aura séché au soleil.

Pour améliorer la qualité du sol et l’enrichir, il faut rassembler les rameaux d’oliviers en ligne pour que le voisin passe avec son camion pour réaliser une trituration. Des moutons travaillent également le sol, et il faut régulièrement refaire leur enclos pour qu’ils changent de lieu de pâturage. On s’occupe également du lombricompost , qui servira d’engrais pour les plantes, et on le passe au tamis pour pouvoir ensuite le répartir dans le potager.

Après avoir écrasé à la main les grumeaux contenus dans l’argile que nous allons utiliser, on retourne en enfance et son joue un peu à voir quelle texture a notre brique , selon la proportion de sable, d’argile, et de paille qu’elle contient, en notant bien les proportions à côté de chaque brique. Et en fait, c’est amusant, mais c’est aussi très sérieux, à une époque où l’industrie du bâtiment est extrêmement polluante, où le coût de l’immobilier ne cesse pas de grimper, et où les aléas climatiques rendent particulièrement utile le recours à des matériaux aux vertus isolantes largement prouvées . On construit également un mur de pierres, pour former un couloir à côté des toilettes , en essayant, au mieux, de suivre des méthodes scrupuleuses : aplanissement du sol dans un premier temps, puis dépôt des pierres les plus lourdes pour faire les fondations, en veillant à ce que chacune s’emboîte en constituant un ensemble stable. Puzzle géant (et sacrément complexe).

Les stéréotypes de genre n’ont pas leur place à Penyaflor , alors les quatre femmes de la maison s’attellent à la construction du mur pendant que l’homme des lieux nous régale aux fourneaux !

Je me pose la question d’aller voir le lâcher de taureaux... Je finis par y passer quand même.

Nos découvertes se poursuivent en dehors des heures de travail collectif : participation à une feria locale qui réunit une belle multitude d’acteurs associatifs locaux , promenades à vélo , fête de la San Jordi avec son marché aux fleurs et aux livres accompagné d’un lâcher de taureau dans le village… Je me pose la question d’aller voir ça, et je finis par y passer quand même. Pour les exciter, les organisateurs leur lancent parfois des pétards ou les jettent à l’eau. Ce spectacle à l’occasion duquel chacun est libre d’entrer dans l’« arène », de guetter le taureau et de s’enfuir dès qu’il s’approche, me fait sortir de ma bulle de Penyaflor, où personne ne se réjouit de ces pratiques. Plusieurs mondes se côtoient sur un même territoire, et je suis ravie de celui où je séjourne, dans lequel règnent le respect du vivant et le plaisir au travail.


Juillet 2023 - Colonia Sierra de las Salinas - "Ça le fait bien rire quand je les compare à la famille de Capitaine Fantastique."


Derrière un nom, il peut y avoir une belle histoire à découvrir, et c’est bien le cas de Jacques Belmonte, descendant d’immigrés espagnols, retourné depuis trois ans sur les terres de ses ancêtres , dans le Pays Valencien, pour reprendre un domaine laissé longtemps à l’abandon . Quand ses amis viennent lui rendre visite, ils lui demandent d’abord s’il a besoin de se cacher après avoir tué quelqu’un… Et puis ils font quelques kilomètres de plus jusqu’à son domaine et ils comprennent son choix. A soixante-deux ans, Jacques ne demande plus qu’à poser ses valises une bonne fois pour toutes dans sa finca, et se fait un plaisir malin de dire de chacun des chantiers qu’il mène que c’est un investissement sur les trente années à venir !

Lui et son cousin Jesus forment un beau duo d’illuminés : ingénieur agronome de formation, celui-ci se dédie actuellement, avec son épouse, à ses activités de maraîchage et d’arboriculture, et à leurs six enfants, qui suivent leur enseignement scolaire à la maison. Ça le fait bien rire quand je les compare à la famille de « Capitaine Fantastique », qui élève dans la forêt ses six enfants en véritables philosophes-rois !

Quand Jesus a envie de faire des grands projets et de voir loin pour son installation agricole, au milieu de tous les commentaires inquiets qu’il peut entendre, il est ravi que Jacques lui dise : « mais c’est génial, vas-y ! ». Et vice-versa. Je suis hébergée, tout comme deux autres volontaires, Nelly et Ella, dans la maison de Jacques, rénovée depuis peu à l’occasion de son installation. Il fait une chaleur étouffante l’après-midi, mais comme nos anciens savaient bien isoler leurs habitations, nous sommes très bien à l’intérieur !

Les chantiers sont variés et donnent envie de voir quelle allure ce beau projet va prendre avec le temps : entretien des oliviers et des amandiers, rénovation d’une maison voisine, élaboration d’un potager et maraîchage, arrosage, cuisine. Nous adaptons nos activités à la chaleur , et commençons nos journées au champ à 8 heures, pour nous arrêter à 10 heures 30– 11 heures, et nous reprenons nos activités après le pic de chaleur, entre 19 et 21 heures.

Ceux qui penseraient que Jacques est isolé dans sa campagne se mettent le doigt dans l’œil.

Ce n’est pas la saison pour cueillir ni pour tailler les oliviers, mais nous pouvons en revanche couper les rameaux qui poussent à leurs pieds, les chupones, pour qu’ils respirent mieux. Quand nous avons coupé une quantité suffisante de rameaux, nous allons voir le voisin qui est berger pour qu’il vienne les récupérer et les donner à ses brebis.

Jacques nous donne, avec Nelly, des livres à étudier sur la conception d’un potager, pour qu’on puisse y réfléchir avec lui et en dessiner le plan . Ça fait rêver, et on imagine un jardin faussement négligé avec un petit potager à étages sur le côté, un composteur sous l’arbre au milieu, des plants de rhubarbe, de pois-chiches, d’aubergines… A côté des tomates qui agrémentent joliment nos repas de temps à autre, on plante des semis issus de l’exploitation maraîchère de Jesus : des choux-fleurs, des blettes et d’autres tomates. On coupe ensuite des herbes hautes sur le terrain pour effectuer un paillage.

La région est aride, et Jesus nous explique qu’il n’est pas question de donner quotidiennement de l’eau aux légumes et aux plantes . Certains plants vont mourir du manque d’eau, mais chaque année, Jesus pratique une forme de sélection naturelle en collectant les semis qui ont survécu et en les replantant l’année suivante . Rien ne remplace le temps pour que la nature fasse son travail !

Nous nous rendons occasionnellement à Aspe pour rejoindre Jesus dans son exploitation d’une belle diversité, où se côtoient légumes, plantes d’aloe vera, poules et poneys…

Jesus anime bénévolement des ateliers de philosophie dans une association dédiée à des séjours de rupture pour des jeunes hollandais rencontrant des difficultés d’insertion, et qui peuvent pendant l’espace changer de cadre et participer au soin d’animaux maltraités. C’est dans ce cadre qu’il a récupéré un poney qui était laissé à l’abandon dans un garage fermé, et qui reçoit désormais un amour incomparable à ce qu’il avait connu avec ses anciens maîtres. Autant dire que ceux qui penseraient que Jacques est isolé dans sa campagne se mettent le doigt dans l’œil.

Je suis hébergée, tout comme deux autres volontaires, Nelly et Ella, dans la maison de Jacques, rénovée depuis peu à l’occasion de son installation. Il fait une chaleur étouffante l’après-midi, mais comme nos anciens savaient bien isoler leurs habitations, nous sommes très bien à l’intérieur !
Des invités viennent régulièrement à la maison, et c’est l’occasion de se lancer en cuisine dans des élaborations variées : paella valencienne traditionnelle avec du poulet, du lapin et des escargots, pain algérien, mise en bouche chilienne…
On pique-nique à un mirador à couper le souffle, à dix minutes en voiture de la maison

Doucement mais sûrement, et fermés d’esprit s’abstenir.

Jacques nous fait profiter, dans notre temps libre, de sa vie sociale bien remplie . On côtoie régulièrement des membres d’ une association dédiée à la vente de produits locaux , l’Asociacion Vegetariana y Naturista, qui nous offrent gentiment de participer à un atelier de compostage. Au bistrot du coin on refait le monde avec un peintre.

Pour changer d’ambiance on déguste du vin dans un vignoble, et puis on pique-nique à un mirador à couper le souffle , à dix minutes en voiture de la maison. Des invités viennent régulièrement à la maison , et c’est l’occasion de se lancer en cuisine dans des élaborations variées : paella valencienne traditionnelle avec du poulet, du lapin et des escargots, pain algérien, mise en bouche chilienne… J’ai amené mon violoncelle pour avoir un point de connexion avec les personnes que je rencontrerais , dans un pays où il fait bon improviser un air autour de la table avec qui le souhaite, et on élabore un répertoire avec Jacques qu’on joue régulièrement, accompagnés par nos amis à la guitare et au cajon.

Il y a quelques années, il a fait fureur sur un campus belge, avec la chanson au joyeux refrain : « Tranquilou bilou, attends que la mer monte… Tous les tordus, les rasés, les barbus, les m’as-tu-vu, Arrêtez de vous stresser, arrêtez de vous énerver. »
Ca pourrait bien refléter l’esprit des lieux : doucement mais sûrement, et fermés d’esprit s’abstenir .


Août 2023 - Galice - " Je découvre Elvira, sa vie fascinante : avocate pendant les années noires, à 80 ans, elle créé une conserverie pour le village."

Dégustation de délicieuses moules marinières avec un vin blanc de la région en accompagnement. De gauche à droite : Elvira, Lina, moi, Cruz et Martina.

Au mois de mai, alors que je cherchais un lieu où faire du WWOOFing, j’ai adoré mon échange avec Elvira . Très aidante, elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour me conseiller l’itinéraire le plus simple, un lieu où faire étape pour diviser le trajet… Son village à côté de Ribadeo, avait l’air magnifique avec son accès à la côte et à plusieurs ports, à la frontière entre la Galice et les Asturies. Ça restait une logistique tellement compliquée d’aller jusque chez elle en Galice que j’avais renoncé à ce projet. Jusqu'à ce qu'une proposition de voyager en fourgon, m’a fait revenir vers Elvira et la rejoindre à la Finca Muneiros, pour participer à l’entretien de son potager et à sa conserverie.

En la rencontrant, j’ai vite compris la force d’attraction qu’elle avait exercé sur moi lors de notre échange téléphonique, et j'ai découvert un personnage qui ferait le bonheur de nombreux biographes . Elvira a exercé pendant l’ensemble de sa carrière la profession d’ avocate en droit du travail, toujours du côté des employés et sous le régime franquiste, qui avait fait interdire les syndicats et légalisé le licenciement pour participation à un mouvement de grève . Procès corsés, syndicats clandestins, elle dit avoir eu longtemps des doubles journées, auxquelles s’ajoutaient sa vie de famille et son implication dans des associations d’aide au développement et féministes au Nicaragua, un pays dont elle est amoureuse.

Au moment de prendre sa retraite, elle n’était plus aussi enthousiasmée qu’avant par la vie à Barcelone, et elle trouvait dommage, après avoir tant œuvré pour le Nicaragua, de ne pas proposer également une initiative d’aide au développement rural dans sa région d’origine, la Galice . Alignée avec ses valeurs, elle a vendu l’ensemble de ses biens immobiliers pour revenir vivre dans la ferme de ses parents et créer une conserverie municipale.

Ce projet répond à un besoin identifié depuis plusieurs années et dont la municipalité ne s’est pas encore saisi : que les producteurs puissent disposer d’un espace où élaborer leurs confitures et leurs conserves dans le respect des normes d’hygiène.

A quatre-vingts ans, Elvira pilote son « Obraidor » d’une main de maître , avec l’aide d’Inès, qu’elle a embauchée pour l’aider dans la gestion administrative du lieu et dans la production de conserves, de sa sœur Cruz, qui lui prête main forte quand elle vient passer des vacances à la ferme , et de nombreux voisins et WWOOFers qui l'aident . Elle dit qu’elle n’a plus de doubles journées, mais des triples journées !

À son cinquième jour, il fait ses valises… Nous sommes peinées pour lui, mais aussi soulagées que ses critiques permanentes prennent fin.

J’arrive au milieu d’un moment où s’enchaînent les difficultés: coupures d’électricité mettant à mal la congélation de produits destinés à être cuisinés plus tard à la conserverie, coupures régulières d’eau et casse-tête infernal avec le plombier… Elvira doit beaucoup courir et faire preuve d’ingéniosité, mais elle nous montre en même temps une autre facette de sa personnalité: celle d’une femme très affectueuse et soigneuse vis-à-vis des autres , désolée autant de devoir nous accueillir dans la précipitation, que de voir ses plantes sans eau, devant attendre pour recevoir ce qui leur est vital.

Ces difficultés n’altèrent en rien la qualité de mon séjour, lors duquel je vais à la fois en apprendre beaucoup sur la conserverie et le maraîchage, partager de beaux moments avec Elvira, son entourage et les autres volontaires, et explorer une région magnifique .
A mon arrivée, nous sommes trois volontaires, avec Martina, une Italienne très pétillante en train, elle aussi, de se reconvertir professionnellement et de quitter le monde du travail social, et avec Lina, originaire de Colombie, venue passer un an en Espagne pour reprendre des études dans le domaine de l’économie sociale et solidaire et se former afin de peut-être ouvrir un jour son propre gîte rural.

Un autre volontaire madrilène va se joindre à l’aventure , initialement avec l’intention de rester au moins un mois. Dès son arrivée, il est déçu par l’organisation de nos horaires, qu’il ne trouve pas propices à des excursions extérieures et il revient constamment sur ce sujet, l’attitude de la chienne qui le mord une fois et aboie beaucoup en sa présence pendant les trois premiers jours de son séjour le braque, il trouve la salle de bains des hommes très sale… A son cinquième jour, une remarque qu’il fait à Elvira dépasse les limites de ce qu’elle peut supporter, elle le lui dit et il prend la décision de faire ses valises… Nous sommes peinées pour lui qu’il ait mal vécu son séjour, mais aussi soulagées que ses critiques permanentes prennent fin .

Un couple madrilène très sympathique d’enseignants de jardinage urbain et de poterie, accompagné d’un chien qui ressemble à un immense ours en peluche et qui essaie tout le temps de rentrer dans la maison se joindra également à nous à la fin de mon séjour, et mes amis et compagnons de voyage Nacho, Jonathan et Rémi feront un petit passage lors duquel ils seront chaleureusement accueillis . Cruz, la sœur d’Elvira, est présente le temps des vacances et effectue de nombreux travaux dans la ferme.

Je donne un concert de violoncelle à la famille d’Elvira le 15 août, puis un duo le lendemain avec Alvaro, un ancien wwoofer venu s’installer dans la région : suites de Bach, Walt Disney, atelier d’essai de mon instrument pour les enfants…

Nous partageons tous les tâches ménagères de la maisonnée.


La responsabilité des tâches ménagères est partagée entre les habitants de la maison, et nous alternons pour cuisiner et nettoyer les parties communes .

Le jardin potager offre une belle diversité de fruits et de légumes : pommes et poires, framboises, fraises, tomates, courgettes, courges, choux rouges, choux-fleurs, carottes, poireaux, betteraves, blettes, aubergines, poivrons, haricots et herbes aromatiques.
Quelques plants de tabac aident à protéger le potager d’insectes indésirables . Les tâches à effectuer quotidiennement sont les suivantes : nettoyer le poulailler et nourrir les poules , en veillant bien à enfermer avec ses granulés pendant 10 minutes la petite poule noire qui se fait maltraiter par les autres et empêcher de manger ; arroser manuellement l’ensemble du potager , en s’adaptant bien aux besoins des plantes de recevoir un arrosage doux sous forme de pluie ou un arrosage abondant à leur pied ; inspecter les feuilles de courgettes, de courges, de blettes et de betteraves qui sont atteintes du mildiou et les retirer , en veillant à toujours les toucher avec la même main pour ne pas contaminer les autres ; entretenir le compost en respectant la règle des quatre couches (une couche de terre, une couche de paille ou de bois, une couche d’herbe, et une couche de fruits et légumes, épluchés ou entiers) et en ajoutant ponctuellement des coquilles d’œufs broyées en petites quantités, des cendres, du marc de café et des feuilles mortes.

À ces tâches s’ajoutent, de façon plus espacée : la cueillette des fruits et légumes mûrs , le tutorat des plantes , la transplantation de plantes qui ont grandi, l’ajout d’engrais (du caca de vache local de haute qualité !), la production de confitures et de conserves , la semence de nouvelles graines . De quoi ne pas chômer et ne pas s’ennuyer !

L’organisation des journées nous permet de profiter de bons moments à la maison et de visiter la région. Il fait bon, mais on est loin de la chaleur estivale d’autres régions d’Espagne et il n’est pas nécessaire de rester chez soi plusieurs heures par jour pour se protéger du soleil .

S’il est possible de découvrir une multitude de beaux paysages en longeant la côte, Elvira nous recommande également de ne pas nous arrêter à cette vision de la Galice et d’aller également découvrir ses terres. Nous faisons donc une courte expédition, une après-midi, dans le massif montagneux de Los Oscos, et une magnifique randonnée, sur une journée, à la Ribeira Sagra, près de la ville de Lugo, où des traces de vignes romaines ont été retrouvées. Il y a l’Océan Atlantique, la pluie, du granit, des hortensias, et des festivals de musique celtique, alors en ayant des origines bretonnes, je me sens vite dans mon élément.

Mais il y a aussi des chevaux en liberté, des toits de maisons agrémentés de petits pics, anciennement conçus pour stocker la paille, de nombreux restaurants qui servent du poulpe et des pouce-pieds, un fruit de mer inaccessible en France … Je suis comblée, et pense déjà au jour où j’y retournerai.


Août 2023 - Chez Gabrielle - Pays valencien, Espagne... Le village où je me suis aujourd'hui installée

A la fin de la journée de production, il faut vider les fûts de leur malt avant de les laver. Ça fait rigoler tout le monde quand Gabrielle plonge dans le fût tête la première et qu’on ne voit plus qu’une paire de jambes qui dépasse !
Une fois les fûts vidés, nous remplissons une bonne dizaine de seaux. S’il est possible de réduire leur volume en les pilant avec les pieds, s’équiper de bottes pour le faire est indispensable vu la température atteinte par le malt lors de la fermentation !
Des bergamotes dans leur cuve. La bière est fabriquée avec du houblon bio d’un producteur local, et les différents arômes sont également composés de produits de la région : nèfle, bergamote, verveine citronnée…

Une badass à la ferme


C'est le mot qui qualifierait bien le côté forte et courageuse de Gabrielle qui a mené ce projet. Particulièrement intéressée par les projets qui rassemblent , le descriptif de la Somniada m'a beaucoup plu. On sentait du dynamisme, de la passion, une envie d’aller loin ensemble, de créer, et de célébrer de belles amitiés autour de moments artistiques. Je n’ai pas eu de réponse tout de suite, mais quelque chose me disait que ça valait la peine d’insister et de renvoyer un message… Pour finalement réaliser un très beau et intense séjour d’une semaine à la coopérative.

Je suis arrivée un dimanche chez Gabrielle, dans sa maison à Soneja, où la porte est ouverte en permanence , car pas d’inquiétude à avoir dans le village, d’autant plus que les clients du bar sous la fenêtre exercent une surveillance permanente et bienveillante. Histoire de commencer en beauté, nous sommes allées préparer des fûts au local de sa brasserie, pour aller servir de la bière à une fête de village animée par plusieurs big bands locaux.

Gabrielle m’a en même temps expliqué son projet : derrière la création d’une marque de bière artisanale et d’une coopérative, elle cherche avant tout à faire du lien dans la région. La bière est fabriquée avec du houblon bio d’un producteur local, et les différents arômes sont également composés de produits de la région : nèfle, bergamote, verveine citronnée… A chaque fois qu’une nouvelle bière est créée, un dessinateur différent de la région est sollicité pour illustrer son étiquette . Il y a peu de brasseurs artisanaux dans la région, et l’Audaç vient apporter une touche de fierté locale à de nombreuses enseignes : bistrots du village, restaurants, épiceries… Un jeudi soir sur deux, le grupo de consumo, équivalent d’une Amap locale, se réunit à la Somniada, et les producteurs locaux peuvent venir valoriser leurs produits .

On récolte des semences paysannes dans les jardins environnants.


Je manque de peu la Fiesta del Tomate et une belle journée de dégustation de variétés de tomates locales, avec un jury du public et un jury des enfants pour désigner celles qui sont les plus délicieuses. En revanche, j’ai la chance de pouvoir participer, pour commencer ma semaine, à une journée de bénévolat à l’association Conecta Natura, gérée par David, l’associé de Gabrielle. Basée à Borriol, l’association propose une banque de semences anciennes grâce à l’implication de David, seul salarié, de son équipe de fidèles bénévoles , et du soutien de la municipalité. Ensemble, ils vont collecter des semences dans les exploitations et jardins environnants des personnes qui souhaitent participer au projet. Les objectifs de ce travail sont la préservation de la diversité biologique, la sélection de semences résistantes , capables de s’adapter au climat de la région et de se reproduire, la souveraineté alimentaire, mais aussi la sauvegarde du patrimoine culturel et de sa richesse gastronomique .

Nous effectuons tous ensemble un travail rigoureux, dans une atmosphère conviviale. Nous vidons toutes les tomates qui ont servi à la fête de leurs pépins, ainsi que d’autres légumes . Chaque variété est rangée dans une bassine, numérotée et photographiée. Chaque participant se voit remettre une bassine de tomates ou de légumes, dont il doit vider les pépins, qui seront ensuite mis dans un bocal, lavés, séchés, puis en sachet. Un travail de précision qui nous rappelle à quel point être nombreux permet d’aller loin . Rien n’est gaspillé bien entendu, et nos efforts sont récompensés par une délicieuse poêlée préparée avec les légumes que nous avons vidés !

Ma semaine à la Somniada se poursuit sous le signe de la diversité. Nous consacrons une journée à la production de bière, dont seule Gabrielle détient les recettes. Il est difficile de ne pas trouver matière à se satisfaire : la Primavera est pleine de fraîcheur avec ses notes de blé et de verveine citronnée, la Nit est une brune légère à la caroube, la Boira étonne par sa forte concentration de houblon, ajoutée pendant la fermentation, et son parfum de fruits tropicaux…

Et pour ma part, si je ne devais en boire qu’une pour oublier tous mes soucis, je choisirais sans hésitation la Bergamota, et son délicieux goût acidulé d’agrumes, que je me régale à voir bouillir dans leur cuve quand Gabrielle la fabrique, en ajoutant une petite touche de
sel qui contrebalance discrètement son acidité
.

Je découvre les personnes qui laissent une empreinte bien à elles dans la vie du lieu.


Malgré une charge de travail très importante, Gabrielle tient l’objectif qui l’a initialement guidée dans son projet, de créer du lien.

Chaque jour, nous voyons des voisins et des amis passer à la brasserie, et nous croisons toujours une tête sympathique à la terrasse du bistrot en rentrant le soir. Je découvre de belles personnes, qui laissent une empreinte bien à elles dans la vie du lieu : Thomas, le maraîcher autrichien qui s’est établi dans le village de Caudiel et a œuvré à la création d’une cantine scolaire écologique , Mathieu, l’informaticien français à qui il arrive toujours de drôles d’histoires, Tony, excellent trompettiste de l’ensemble de Segorbe, et Max, guitariste, avec qui j’ai le plaisir de partager une improvisation musicale à l’occasion de la distribution du grupo de consumo, Lola, la patronne punk et déjantée de deux bistrots du village , José et Sandra le père et la fille boulangers , Carole, Juan Miguel et Amelia et leur indéfectible gentillesse , Julio l’argentin vadrouilleur , Violeta la vétérinaire experte en nutrition animale , Chelo et Roberto les percussionnistes … Et puis bien sûr Momo, le chat tout rondouillet ravi d’accueillir sa maîtresse quand elle rentre de ses longues journées de travail le soir, qui ne sait plus où se mettre en temps de canicule !

La brasserie est maintenant à quinze minutes de chez moi, et mon hôte est devenue mon amie.

Je découvre également le fourmillement d’initiatives culturelles et liées à l’agroécologie de l’Alto Palancia . Le mouvement néo-rural est récent dans la région et le tissu de l’économie sociale et solidaire se construit doucement, mais il offre déjà de belles découvertes. La Surera, dans le village d’Almedijar, est une auberge de jeunesse fondée par un couple franco-espagnol qui accueille des porteurs de projets pédagogiques liés à l’agroécologie, ainsi que des artistes en résidence.

Des événements festifs y sont régulièrement organisés et fédèrent les habitants de la comarca. Le Centro de Desarrollo Rural, organisme associatif, propose des rencontres sociales et des groupes d’entraide pour les personnes souhaitant faire de nouvelles connaissances, ainsi que des cours d’espagnol pour les étrangers et des ateliers d’aide à la recherche d’emploi. La Coopérative de Viver, Saborita, le Racon del Ginjol dynamisent le territoire en aidant des agriculteurs ayant recours à des techniques respectueuses de l’environnement à vendre leurs produits. Le restaurant Gastroadictos
transforme ces mêmes produits avec une incroyable inventivité
et offre à ses clients une explication préalable à la dégustation de chaque plat. La Punkadeira, batucada du village de Soneja, réunit trois fois par semaine ses participants âgés de 15 à 75 ans , et anime régulièrement les événements festifs de l’année. Qui a dit qu’à la campagne, on ne pouvait pas avoir à choisir entre deux activités ?

Je crois que je parle avec une certaine précision de ma semaine à la Somniada. On dirait presque que je continue de m’y rendre ? Des découvertes et des rencontres magnifiques, une envie de prolonger un peu le plaisir de baigner dans une culture latine, un volontariat dans un lieu très en lien avec d’autres structures de la région

Une proposition de boulot et d’appartement, et voilà que j’ai quitté l’Alto Palancia juste pour un mois, le temps de faire mes valises et de venir voir ce que l’avenir me proposerait. Et qu’à mon plus grand plaisir, la brasserie est maintenant à quinze minutes de chez moi, et mon hôte est devenue mon amie.

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