Au-delà de l’agroécologie paysanne qu’ils pratiquent en famille, Yoann et son père Hubert partagent un même goût pour le militantisme et la protection des communs. Depuis des années (des décennies pour Hubert !), ils luttent contre l’accaparement des terres agricoles et les projets écocidaires sur leur territoire, la Loire-Atlantique.
Cet article de Laurie Debove a été publié dans le numéro spécial "Générations", et édité par le média indépendant La relève et la peste. Photographies : DR Romain Pedeboscq
À force de mobilisation, père et fils ont beaucoup contribué à l’abandon du projet de surf park de Saint-Père-en-Retz (2021), qui allait artificialiser huit hectares de terres agricoles à seulement dix kilomètres de l’océan. Cette victoire a été obtenue au bout de deux ans. Depuis plusieurs générations, Yoann et Hubert se consacrent aussi corps et âme à la défense de la zone du Carnet, une mosaïque d’habitats humides de l’estuaire de la Loire abritant 116 espèces animales et végétales protégées sur près de 400 hectares. Une partie de cet espace sauvage est aujourd’hui menacée par un projet d’extension du Grand Port maritime de Nantes-Saint-Nazaire. Au fil du temps, le Carnet est devenu un symbole national de la résistance contre le bétonnage à outrance et ces grands projets inutiles qui abondent partout en France.
Hubert - Installés sur la ferme du Pin, ma femme et moi sommes paysans bio depuis trente-deux ans. Nos valeurs écologiques et sociales s’inscrivent dans une volonté de promouvoir une petite agriculture paysanne, de proximité, respectant son environnement et la terre qui nous fait vivre.
Notre fille Nolwenn s’installe actuellement en petits fruits, arboriculture et plantes aromatiques et médicinales (avec un atelier de transformation) sur une partie de la ferme familiale. Sur une autre partie, notre fils Yoann est en cours d’installation en maraîchage diversifié et arboriculture. Il développe également des activités de formation et d’accompagnement en agroforesterie et en permaculture.
Yoann Dans notre ferme familiale, nous avons la chance d’avoir de nombreuses zones humides, des prairies que nous laissons en jachère, des arbres multi centenaires, une dizaine de mares et bon nombre d’autres niches écologiques accueillant une magnifique et abondante vie sauvage.
À travers mes activités, j’espère aider l’arbre à retrouver sa place centrale dans nos vies. Si je peux apporter ma pierre à l’apprentissage d’une manière intelligente et durable d’interagir avec l’écosystème, tant pour enrichir notre autonomie que pour améliorer la biodiversité, la fertilité et la résilience des projets paysans et jardiniers, il s’agit pour moi d’un vœu cher qui s’accomplit.
Hubert - Quand j’étais jeune, je voulais devenir paysan. Mais avant de m’installer en bio, j’ai fait un passage par le social.
Je combattais tous les projets destructeurs de la planète, ce que je fais toujours. Je n’ai jamais arrêté de militer pour les droits de l’homme, contre le nucléaire et les OGM. Un tiers de mon temps est consacré au militantisme et à l’activisme.
Avec ma compagne, on a choisi de replanter des arbres, de faire de l’agroforesterie.
On a laissé les haies s’étendre pour conserver la biodiversité. Au mois de juin 2021, on a reçu trente naturalistes qui ont fait un recensement et qui ont trouvé une centaine d’espèces ! C’est un vrai succès. En trente-cinq ans d’activités agricoles paysannes, on a prouvé qu’en conservant et améliorant la biodiversité, on peut à la fois cultiver et protéger l’environnement.
Yoann - Au départ, je ne me destinais pas vraiment à être paysan, car j’avais déjà vu mes parents pas mal galérer comme c’était des pionniers en bio. Ils ne voulaient pas faire une bio élitiste destinée aux ménages aisés. J’étais plus attiré par les études, mais finalement après avoir vécu toute mon enfance dans
la ferme, mon imaginaire était profondément relié à la nature. Et puis j’étais très sensible aux questions de l’autonomie des peuples, de la vie sauvage, de la préservation de la biodiversité… Du coup, j’ai très vite arrêté la fac pour faire du WWOOFing au Québec, où j’ai découvert le maraîchage. C’est ce qui m’a donné envie de revenir sur la ferme familiale.
Yoann
Hubert - D’abord physiquement. L’été, c’est devenu insupportable de travailler dans les champs. Après, on a moins de gelées, mais plus tard. J’ai aussi un verger populations. On l’a bien vu cette année, en France, avec les vignobles et les vergers : il y a eu 40 % de pertes un peu partout ! Ça commence à poser de sérieux soucis sur notre territoire.
Yoann - Comme il y a de plus en plus d’alternances entre des périodes de fortes pluies et de forte sécheresse, on a des dégâts vraiment plus accentués sur les cultures. On essaie donc de choisir des variétés adaptées au changement de températures, mais aussi plus résistantes aux maladies et aux parasites qui se développent de plus en plus à la faveur du réchauffement climatique et de l’extinction du vivant, qui fait qu’il y a moins de régulateurs naturels du parasitisme.
Mais sélectionner les bonnes variétés et trouver de nouvelles pratiques agricoles, cela prend du temps, et les impacts du réchauffement climatique augmentent plus vite. On l’a bien vu cette année : on avait beau avoir choisi des variétés mieux adaptées à la sécheresse, on a eu un temps très humide avec des températures douces, donc favorables à des maladies fongiques. Ce n’est pas un réchauffement « stable », on ne peut pas tout anticiper et on est soumis à des variabilités climatiques de plus en plus fortes.
Pourtant, si l’on peut faire de l’agriculture depuis 10 000 ans, c’est grâce à la stabilisation du climat avec l’Holocène.
D’où l’importance de créer des microclimats dans nos fermes en implantant des arbres, des haies et des mares, en favorisant des friches et en faisant du fauchage tardif. Tout cela aide un peu, mais ne résoudra pas tout. Le fond du problème est territorial. C’est ce que j’explique toujours aux gens qui viennent faire des formations à la ferme : on n’est pas une oasis. On peut faire tout ce qu’on peut pour accueillir la plus grande biodiversité et être le plus résilient possible, il y a des choses qui jouent à l’échelle territoriale, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on se bat au niveau du territoire.
Hubert - Ils sont dans le déni et dès qu’il y a une catastrophe climatique ou économique, ils sont subventionnés. Même s’il va dans le mur, on pérennise un système pourri et destructeur de la planète. C’est pour ça qu’on invite des jeunes à s’installer sur le territoire ou ailleurs, on invite le plus de monde possible à revenir à la Terre pour en vivre, mais surtout pour préserver un maximum de terres fertiles des ravages de la FNSEA 1.
Yoann - Les relations avec les acteurs conventionnels sont difficiles. On a peu de liens.
Il n’y a qu’un seul agriculteur conventionnel avec qui cela se passe bien humainement sur la commune, malgré nos différences idéologiques et de pratiques. La majorité des autres nous voient d’un très mauvais œil, d’autant plus depuis la lutte contre le surf park de Saint-Père-en-Retz 2 et depuis qu’on a dérangé la FNSEA lors d’un autre accaparement de terres.
Voici l’histoire : un agriculteur industriel d’Eure-et-Loir allait récupérer quatre fermes laitières grâce à la FNSEA, l’équivalent de 420 hectares de terres, au détriment de jeunes paysans et paysannes biologiques qui voulaient s’y installer. La SAFER 3 a tout fait pour les écarter, alors que ce n’est pas son rôle. Sa mission serait même d’installer des jeunes.
On a dénoncé cette magouille et fait des manifestations dans la chambre d’agriculture du Pays de Retz 4 et à Nantes. La préfecture a mobilisé onze cars de CRS, alors qu’on était quatre-vingts à manifester… Tous les dossiers de la SAFER ont été délocalisés une semaine avant. Ils avaient peur qu’on aille dans les bureaux de la chambre d’agriculture pour les voir. Le fait qu’ils se soient sentis obligés de les cacher dans l’urgence, c’est sûrement parce qu’ils avaient d’autres choses à cacher. C’était au moment des élections des chambres d’agriculture, et cela a aidé à mettre au jour les pratiques mafieuses de la FNSEA vis-à-vis d’agriculteurs qui la soutenaient depuis toujours.
Depuis cet épisode, on a des rapports tendus avec les agriculteurs restés fidèles à la FNSEA. Ils accusent Hubert de ne pas payer ses fermages ou d’être ultra-violent, alors qu’on se bat aussi pour eux, pour leurs ressources, pour qu’il y ait de l’eau et du vivant sur le territoire, pour qu’ils puissent continuer à vivre de leur métier. Mais eux nous voient comme des emmerdeurs, des ayatollahs de l’écologie…
Il y a vraiment une séparation entre deux mondes. Elle est de plus en plus forte et fait peur aussi, même si elle est parfois inévitable… Avec l’accélération des catastrophes naturelles, et le fait qu’on est
en train de voir la fin de notre société actuelle, le vieux monde se raccroche de toutes ses forces à ce qu’il a et ne veut pas changer de modèle parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il faut toujours produire plus. S’ils remettent en cause ce dogme, leur monde s’effondre. C’est moins la faute des agriculteurs que celle du système, derrière : les banques, la finance, la FNSEA, l’État, qui encouragent cette agriculture productiviste. Le peu d’agriculteurs restants empêtrés dans ce modèle le défendent donc corps et âme.
Yoann - J’ai fait mes armes à Notre-Dame-des-Landes, où j’ai vécu mes plus beaux et mes plus durs moments de militantisme. Tout n’est pas rose dans les luttes, mais j’y ai créé un réseau très fort de copaines avec qui on a fait un projet de ferme collective en permaculture, pendant trois ans. Ensuite, on a monté le collectif « Terres communes en Pays de Retz » pour montrer qu’il y a une urgence à sauver les terres de l’urbanisation et de la concentration aux mains des gros agriculteurs.
On a très vite entendu parler du projet de surf park à Saint-Père-en-Retz contre lequel on s’est mobilisé rapidement. Pendant un an, j’y ai passé trois heures par jour. En campagne, on est très peu nombreux à lutter. Il fallait donc créer un réseau de soutien avec d’autres collectifs, et alerter les gens de la ville. On a eu beaucoup de soutien de Nantes, et toute cette énergie a payé, car le projet a été bloqué !
En revanche, l’expulsion violente du terrain destiné au surf park, couverte par la gendarmerie, a été un vrai coup dur pour certains membres du collectif, qui ont été choqués par cette violence. On a aussi reçu des insultes et des menaces de mort dans la rue, ce qui était difficile à vivre…
Heureusement, nous n’avons pas tous été découragés par cette démonstration de violence. Et on a décidé de se mobiliser à nouveau quand on a entendu parler du projet gigantesque de
parc « écotechnologique » du Grand Port maritime de Saint-Nazaire, promu par l’État, des multinationales, la région, le département… Aucune communication officielle dessus, aucun riverain informé. On a dû enquêter pour trouver des infos.
Hubert - Pour ma part, en tant que militant activiste, j’ai une expérience de quarante ans. La sauvegarde d’une ferme, quand j’avais dix-sept ans, m’a occupé pendant plusieurs années. J’ai beaucoup fauché d’OGM, j’ai défendu d’autres fermes, je me suis impliqué dans Notre-Dame-des-Landes ou contre le surf park.
J’ai aussi été très longtemps militant antinucléaire. Je me suis opposé à la construction de nouvelles centrales, dont une localement, sur le site du Carnet, de 1981 à 1997, presque vingt ans… avant qu’on réussisse finalement à la bloquer. À l’époque, nous pouvions faire des actions très variées. Je ne peux pas parler ici des méthodes qu’on employait, mais je peux dire que ce qui était possible il y a encore dix ou quinze ans est devenu impossible. Dans peu de temps, on viendra sûrement nous chercher chez nous par mesure de prévention…
Pour moi, depuis qu’ils veulent agrandir le port de Saint-Nazaire, l’histoire se répète. Quand je vais toutes les semaines sur le lieu, je prends les mêmes routes qu’il y a vingt ou quarante ans [rires]. C’est sur le même endroit.
Hubert
Hubert - En forme de boutade, je dirai : « Où la ZAD passe, l’État trépasse. » Partout où l’on se bat, on est déterminé à gagner les luttes. Que ce soit pour le surf park de Saint-Père-en-Retz ou l’artificialisation du Carnet, il manquait des études d’impact environnementales normalement obligatoires avant de lancer de tels projets. C’est la mobilisation qui a pu empêcher des travaux illégaux.
Lors de ce fameux week-end, j’ai subi une extrême violence policière. Je n’avais jamais connu ça en quarante ans de militantisme. J’ai toujours eu des rapports courtois avec les forces de l’ordre. En l’occurrence, le petit défilé organisé ce week-end-là avait été validé par la gendarmerie, ils étaient bien au courant.
Pourtant, à la fin de la manifestation, ils m’ont violemment extrait du véhicule dans lequel je partais des lieux. Ils m’ont projeté sur le sol la tête la première, m’ont passé les menottes avec les mains dans le dos — c’était la première fois de ma vie —, puis m’ont traîné sur plusieurs mètres avant de me jeter dans une camionnette de gendarmerie en tapant dans mon coccyx avec leurs pieds. Ma tête a heurté à pleine vitesse la portière.
Ils sont partis en trombe, alors que je n’étais même pas attaché ni assis. Heureusement, des gendarmes que je connaissais bien ont assisté à la scène et nous ont arrêtés plus loin pour me demander si j’avais besoin de quelque chose.
J’ai eu sept auditions pendant les 48 heures de garde à vue, où je suis resté dans une cellule. Ils me considéraient comme le « leader » des militants, alors qu’il n’y a aucune hiérarchie dans notre groupe. Heureusement, j’ai eu une excellente avocate commise d’office. Elle est venue à toutes les auditions. Elle a même subi des intimidations des gendarmes et s’en est plainte au parquet. Elle a été très courageuse, car les avocats sont de moins en moins enclins à prendre position pour nous défendre. Je vais passer en procès le 8 novembre 2021 pour « menace de délit ou crime envers les dépositaires de l’autorité publique ».
Yoann - On pense qu’ils avaient peur de voir se constituer une nouvelle ZAD, à la suite de l’expulsion militaire de la précédente ZAD du Carnet. Que ce soit au pique-nique la veille, ou au petit défilé ce jour-là, le nombre de forces de l’ordre présentes était assez dantesque ! Ils doivent penser qu’on est ultra-organisé avec des chefs, une hiérarchie. Mais on a une organisation horizontale et spontanée. Notre collectif « Stop Carnet » soutenait évidemment la ZAD, mais n’en était pas à l’origine.
L’arrestation violente d’Hubert représente bien le phénomène de criminalisation croissante des militants écolos et sociaux. La course au profit est de moins en moins capable de justifier ses pratiques écocidaires et injustes. La colère populaire augmente, la répression judiciaire et policière aussi, et ce pour tous nous faire taire à l’avance.
Aujourd’hui, on peut se retrouver devant les tribunaux pour la moindre chose. Or, plus on accumule les procès, plus on passe pour des délinquants récidivistes aux yeux des juges. Certaines interpellations ont même lieu devant les tribunaux, lors de rassemblements de soutien, ce qui nous empêche de continuer à en faire. Toute cette répression cherche à épuiser et isoler les militants, et à décourager les citoyens qui voudraient s’engager et nous rejoindre. On observe ce phénomène dans toutes les luttes, y compris les grandes manifestations historiques qui rassemblent de moins en moins de monde. Heureusement, la répression a parfois l’effet inverse. Quand les gens sont informés des projets et de leurs conséquences sociales et environnementales, et qu’ils observent une violence non justifiée à notre égard, cela leur donne envie de nous soutenir.
Yoann
Yoann - Nous avons un contexte particulier dans le 44. Il n’y a pas beaucoup de militants dans le Pays de Retz, on est assez isolé. Nous portons une vision radicale anti-autoritaire. Or les militants de Notre-Dame-des-Landes, qui chapeautent beaucoup de luttes dans l’Ouest, sont trop paternalistes et autoritaires, ce qui a créé une scission entre nos collectifs. Du coup, on a peu de soutiens des militants historiques de Notre-Dame-des-Landes.
Heureusement, les mouvements de la Jeunesse pour le Climat nous ont énormément aidés ; sans eux, cela aurait été beaucoup plus difficile. Ils ont ramené pas mal de nouvelles forces, des jeunes motivés, très informés sur les différentes stratégies et leur efficacité. Ils ont été un vrai soutien. D’ailleurs, quand on regarde la ZAD du Carnet, elle était composée de beaucoup de jeunes âgés de vingt à vingt-cinq ans, parfois moins. Ils faisaient partie du mouvement Extinction Rebellion ou de Youth for Climate et se sont radicalisés en venant à la ZAD. On a aussi de bons rapports avec Attac, et on a créé un petit réseau de Confluence des luttes de l’Ouest, à la suite des combats communs contre les surf parks de Bretignolles-sur-Mer et Saint-Père-en-Retz, tous deux gagnés.
Hubert - Ici, la FNSEA a conclu une sorte d’alliance avec les policiers, qui s’est traduite au niveau national par l’ouverture de la cellule Déméter 6. Cela crée une atmosphère où l’on est continuellement dénoncé par nos pairs agriculteurs, qui nous considèrent comme des voyous. On subit des intrusions sur la ferme, des vols de ressources et des menaces de mort, sans que les autorités interviennent. Pire, il y a souvent des gendarmes qui passent et des hélicoptères qui font des vols de surveillance au-dessus de la ferme. J’ai même reçu une amende pour non-port de masque, sur ma propre ferme, alors que je n’ai jamais vu les flics ce jour-là ! C’est totalement illégal…
Hubert - Globalement, l’avenir de la société civile m’inquiète beaucoup. En quarante ans, c’est comme si tout avait été fait pour nous pousser à rester chez nous et ne sortir que pour consommer. Bientôt, il n’y aura plus de place pour l’opposition dans ce pays. J’ai reçu un coup de massue il y a trois ou quatre jours. Ils ont mis en place une collaboration étroite, sur la Communauté de Communes, entre le procureur et les maires, qui vont pouvoir accéder à nos dossiers au même titre que la justice. Localement, notre droit de liberté est totalement bafoué.
Yoann - La soi-disant démocratie qu’on avait est en train de péricliter. On a l’impression de perdre tous nos garde-fous démocratiques sur le droit à la liberté d’expression et à celle de manifester.
Hubert - On dit qu’il ne faut pas comparer la France avec des États autoritaires, mais on est clairement en train de s’enfoncer dans un certain fascisme. J’ai toujours eu peur des fachos, et maintenant j’ai aussi peur des flics ! On glisse petit à petit vers un modèle étatique semblable à celui de la Colombie ou du Mexique, qui embauchent
des milices pour réprimer les opposants. Là-bas, tous nos camarades lanceurs d’alertes sont tués les uns après les autres.
Yoann - C’est un phénomène mondial. Après quelques décennies plus apaisées, on voit bien que les populations locales prennent de plus en plus cher quand elles essaient de protéger leur droit à l’eau, à la terre, le partage équitable des ressources, le respect de l’environnement, etc. Tous ces combats ne sont pas vains, car certains acteurs du capitalisme vont de plus en plus loin pour continuer à s’accaparer des ressources et survivre.
Les États sont intrinsèquement liés au capitalisme. Quand ils n’ont plus d’arguments pour justifier leurs choix devant l’opinion publique, la seule chose qui leur reste est la répression. À l’époque de mon père, ils étaient plusieurs dizaines de milliers à se mobiliser, alors qu’il n’y avait pas la même urgence environnementale.
Aujourd’hui, les individus sont effrayés par la violence étatique. Du coup, on est content quand on rassemble mille personnes.
Yoann - Moi, je me bats car c’est vital, c’est un élan de Vie. Je ne peux pas regarder les choses s’empirer sans rien faire, en restant bien tranquille dans ma ferme écologique. Déjà, c’est un privilège blanc occidental de se poser cette question. Pendant ce temps-là, les gens dans les pays du Sud n’ont même pas de questions à se poser sur le fait de lutter ou pas. Ils y sont obligés pour la survie même de leur communauté, par exemple quand il y a des projets d’extraction de minerais qui saccagent leurs territoires pour faire marcher l’industrie high-tech en Europe. Face à la déforestation massive qui les prive de leurs moyens de subsistance, ils n’ont pas le choix.
C’est aussi à nous de cultiver cette pensée collective. Si l’on veut faire société,
plus tard, si l’on veut pouvoir résister à ce qui arrive et être solidaire vis-à-vis des peuples qui n’ont pas le choix et qui subissent le néocolonialisme et l’extractivisme, on doit se battre ! Ou alors, on n’est plus vivant, dans le sens où l’on se dissocie de ce qui fait de nous des humains : des êtres sociaux implantés dans leur territoire. C’est ça qui nous fait continuer, ce n’est pas l’espoir d’un Grand Soir ou d’un soulèvement…
Hubert - Malgré la répression, je n’ai pas peur et je continue mon chemin. Ce qui me fait tenir, c’est de voir beaucoup, beaucoup de jeunes prendre conscience qu’il y a un problème au niveau de l’environnement et de notre société. Il y a ce besoin de retour à la Terre, cet ancrage. Et nous, heureusement, on rencontre des dizaines, voire des centaines de jeunes qui passent sur la ferme pour des formations et qui ont sincèrement envie de changer la société. Pour l’instant, on a perdu le combat contre le capitalisme. Mais il va y avoir un chaos climatique planétaire et c’est ce qui va nous faire changer, peut-être.
Hubert & Yoann - En conclusion, on doit être plus nombreux et on espère qu’il y aura de plus en plus de monde qui rejoindra les luttes ! Tant qu’on n’aura rien de trop à perdre, dans nos pays occidentaux, il n’y aura pas de réaction de masse. D’un autre côté, si la répression est si forte, c’est aussi parce qu’on leur fait peur. On ne veut pas de bravos ni de mercis parce que les gens nous suivent, on veut qu’ils nous rejoignent.
Autrice : Laurie Debove
1
Très puissante, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est le syndicat interprofessionnel majoritaire en France, avec plus de 55 % des votes aux élections aux chambres d’agriculture en 2019.
2
Le collectif « Terres communes », cofondé par Yoann, a été
le fer de lance de la lutte contre le projet de vague artificielle de Saint-Père-en-Retz, à dix kilomètres de l’océan. La mobilisation a commencé début 2019 et s’est achevée par l’abandon pur et simple du surf park en juin 2021.
3
Les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont des organismes à but non lucratif qui gèrent le foncier agricole pour le compte de l’État. Elles possèdent un droit de préemption sur les aliénations
à titre onéreux de biens immobiliers
à utilisation ou vocation agricole. En 1995, la Cour
des comptes leur recommandait déjà de se recentrer sur leur mission première : l’installation de jeunes agriculteurs. En vain.
4
Le Pays de Retz est un territoire s’étendant au sud-ouest du département de la Loire-Atlantique. Il est bordé au sud par la Vendée, au nord par la Loire, à l’ouest par l’océan Atlantique et à l’est par le lac de Grand-Lieu.
5
Le week-end des 5 et 6 juin 2021, un pique-nique militant et une balade naturaliste ont été organisés par des collectifs écologistes afin d’échanger sur la lutte du Carnet et l’industrialisation de l’estuaire de la Loire. Il s’agissait de montrer que l’intérêt pour cette zone humide est toujours aussi vivace, malgré l’expulsion de la ZAD du Carnet, en mars 2021, et le fait que la zone soit désormais gardée par un escadron de gendarmes.
6
Créée en 2019, Déméter est une cellule de la gendarmerie nationale ayant pour objectif officiel de protéger les agriculteurs de « l’agribashing ». Mais beaucoup voient en elle un instrument d’intimidation, de censure et d’entrave destiné à protéger l’agriculture industrielle de ses opposants.
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